mercredi 15 février 2012

A Dangerous Méthod de David Cronenberg

A Dangerous Méthod de David Cronenberg
par Geneviève Morel
http://www.oedipe.org/fr/spectacle/cinema/dangerousmethod

« […] Comme la pièce de Hampton, ce premier film « historique » du réalisateur prend sa source dans des documents qui ne furent découverts qu’en 1977 dans les archives de l’ancien Institut de psychologie de Genève par le professeur Aldo Carotenuto, spécialiste de Jung. Sabina Spielrein, une jeune fille de 19 ans issue d’une riche famille de Juifs russes, fut hospitalisée à l’hôpital psychiatrique du Burghölzli, du 17 août 1904 au 1er juin 1905 pour y soigner son hystérie. Son psychiatre fut Carl Jung qui y travaillait sous les ordres de Bleuler. Il y expérimentait sa méthode des associations, inspirée assez librement par la psychanalyse freudienne : une très belle scène quasi bergmanienne du film montre d’ailleurs Sabina, Jung et son épouse en train d’expérimenter, grâce à des appareils sophistiqués, sa méthode « scientifique », avec mesure des temps de réaction et des intensités d’émotion. Sabina fut la première personne que Jung tenta de soigner grâce à la méthode freudienne, ce dont témoigne d’ailleurs le début de sa correspondance avec Freud [v]. Or, les documents de 1977 nous apprennent qu’ils eurent une liaison amoureuse passionnée. La « cure » continua en privé alors que Sabina Spielrein, « guérie » de son hystérie, poursuivait des études de psychiatrie à Zürich où elle obtint son diplôme en 1911 avec un mémoire, « Le contenu psychologique d’un cas de schizophrénie », écrit sous la direction de Jung. Plus tard, elle rencontra Freud à Vienne et devint membre de la Société psychanalytique de Vienne, où elle présenta, lors des fameuses soirées du mercredi, « La destruction comme cause du devenir », travail certes influencé par Jung, mais dont certains thèmes anticipaient la pulsion de mort, comme Freud le reconnut en la citant dans son Au-delà du principe de plaisir (1918) puis dans Le malaise dans la civilisation (1930). Mariée, elle retourna en Russie en 1923 après avoir travaillé à Genève et à Lausanne (elle analysa notamment Piaget). Sabina Spielrein connut une existence difficile sous le stalinisme qui interdisait la psychanalyse. Son mari fut assassiné lors des purges staliniennes et elle-même connut plus tard une fin tragique avec ses deux filles : elles furent exterminées par balles comme juives le 12 août 1942 à Rostov-sur-le-Don, la ville natale de Sabina, par un Einsatzkommando nazi. Il ne restait pas grand-chose de l’histoire et de l’œuvre de Sabina. Ses articles avaient bien été publiés par les Freudiens mais, trop marqués par sa fréquentation de Jung, ils étaient tombés dans l’oubli. Bien sûr, il y avait ces notes en bas de page de Freud, et les lettres où Jung interroge Freud sur ses difficultés avec « son étudiante russe », en dissimulant sa liaison avec elle. Jung avait même fait publiquement le récit du cas de Sabina au congrès d’Amsterdam en 1907.
En 1977, on découvrit donc la correspondance de Sabina avec Jung et Freud, ainsi que le journal de Sabina entre 1909 et 1912 [vi]. Les lettres de Jung à Sabina et son journal clinique sont encore aujourd’hui interdits à la publication par les héritiers de Jung qui admettent sa maîtresse officielle Tony Wolf (acceptée par Emma Jung, sa femme), mais dissimulent la liaison avec Sabina, sulfureuse puisque elle a eu lieu pendant la cure, sous transfert. La passion de Sabina s’écrit de façon exaltée dans son journal. […] »

v. Sabina est l’objet d’une des premières lettres de Jung à Freud le 23 octobre 1906.
vi. Cf. Sabina Spielrein. Entre Freud et Jung, textes de Sabina Spielrein, Aldo Carotenuto, Carlo Trombetta, Michel Guibal, Jacques Nobécourt, Paris, Aubier Montaigne, 1981 ; réédition 2004. Cf. aussi le commentaire de Nicolle Kress-Rosen dans Trois figures de la passion, Paris, Arcanes, 1993.

Geneviève Morel

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