lundi 25 avril 2011

Géométrie de l'absence à la librairie Quartiers Latins

Encore une semaine
Géométrie de l'absence

Dans le cadre de “Drawing in an Expanded Field” 300 ans d’existence de l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles-EsA et 30 ans de l’atelier de dessin
exposition des étudiants de l’option “dessin” de l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles à la librairie Quartiers Latins

14 place des Martyrs
1000 Bruxelles
Exposition ouverte jusqu’au 30 avril 2011
du mardi au samedi
de 10 h à 18 h.

Gaston COMPERE
GÉOMÉTRIE DE L'ABSENCE
« Voici peut-être l'œuvre poétique la plus puissamment originale qui nous ait été donnée depuis les inventions de Norge. Deux géométries, en deux étages, dans ce livre de près de deux cents grandes pages de poésie en texte serré : au plafond, en citations continues, ce qu'on pourrait appeler la géométrie qui plane, le ciel irréfutable des théorèmes d'Euclide et de l'enfant Pascal, dans l'admirable français rigoureux et strict, si bien fait pour sertir leurs propositions logiques. Sous ces vérités implacablement régnantes, libellées en une ou deux lignes au-dessus de chaque poème, les unes d'un laconisme fatidique (la perpendiculaire est plus courte que toute oblique), les autres agencées comme le dessin compliqué d'un mécanisme de ballet ou de l'évolution d'un groupe d'étoiles (la somme des angles intérieurs d'un polygone convexe est égale à autant de fois deux droits qu’il y a de côtés moins deux), sous ce firmament de la raison fixe toute la libération d'une géométrie qui grouille, la géométrie en assemblée libre, où le calembour se glisse à la place de la déduction, où l'association spontanée des idées et des mots foisonne en un tourbillon vivant et grotesque, regardé de très haut par les froides maximes euclidiennes. Le monde de Jérôme Bosch jugé par la tranquillité des astres et insurgé contre elle. Cette langue grimaçante qui se fait sans cesse la parodie d'elle-même fait penser à celle où sombre le verbe de Leverkühn, le docteur Faust réinventé par Thomas Mann, quand peu à peu la maladie pénètre jusqu’à la moelle le parler du musicien prodige (musicien comme Gaston Compère). Mais ici le salut prévaudra.
Il prévaut d'abord parce que, même quand le sabbat des énormes déformations verbales bat son plein il y a les beaux vers, les beaux vers qui émergent merveilleusement de cette cavalcade de références dérisoires et d'assimilations hilarantes. Pour les aloses seules les anses d'eau douce – ouvrent au courroux des sources leur geôle rousse… Pour atteindre à pareille musique on comprend que le Leverkühn – docteur Faust de Mann ait vendu son âme au diable, et que Gaston Compère soit descendu aux enfers de son carnaval de vocables masqués comme des créatures d'Ensor. Mais la moralité de l'aventure est bien venue. Par la plus heureuse réussite de composition, il se passe, au long du poème (car ces chants séparés se lient en un poème), comme une lente guérison de ce mal pathétique du grotesque. Par moments, on a pu se demander si ce n'étaient pas les puissances d'en bas qui allaient l'emporter sur l'ordre supérieur des théorèmes impassiblement récités en haut de page; il se produisait une sorte de contamination, l'assaut de la farce atteignait les figures d'Euclide; les pieds de deux obliques égales s'écartent également du pied de la perpendiculaire, brusquement ces pieds écartés d'un pied paraissaient comiques…
Mais c'est dans l'autre sens que se décide finalement l'action du drame; car c'est un drame. La mer inférieure des fatrasies, des équivoques et des phrases en saut de mouton s'apaise (il y aurait toute une étude à faire sur ces procédés d'altération du langage dont joue Gaston Compère avec une virtuosité clownesque) et à travers les derniers poèmes monte l'aveu que rien ne déguise, ni le calembour, ni le rire efforcé, l'aveu de l'universelle et individuelle tristesse.
Vers cette conclusion apparaît cependant encore plusieurs fois une épigraphe dédaigneuse que le jeu de mots systématique permet d'attribuer à Silvio Pellico : Mé-prisons. Le lecteur ne se sent ni méprisé, ni réellement invité au mépris ; avec Pellico et avec Compère, il s'évade. »
Marcel Thiry (Le Soir)

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